L'hivernage tire (enfin) à sa fin! Bien qu'étant arrivée tardivement, la saison des pluies s'achève. Jad, entre bolong et rizières, va (enfin) ôter son imperméable: les voiles, soigneusement attachées tout autour de la case, afin de nous protéger des pluies et des vents qui s'engouffraient sur la terrasse, vont bientôt se reposer dans leur sac marin respectif. Heureusement, cette année, L'Atelier Jad a pu fonctionner sur le plan artistique comme sur le plan fonctionnel grâce à son nouveau toit: des tôles en alu qui ont remplacé la paille traditionnelle.
Sur le plan artistique car L'Atelier Jad, lieu ouvert à tous les artistes qui désirent y faire une petite halte, s'est vu paré de multiples couleurs. Un jeune ami, LG, après 4 ans d'études à l'école des Beaux Arts de Dakar, est venu nous prêter main forte.
Sur le plan fonctionnel car, pour la première fois et à notre plus grande joie, nous avons pu récupérer des centaines de litres d'eau de pluie, stockée en prévision de la saison sèche: une gouttière installée côté bolong et une autre côté rizières, des bassines qui débordent en deux minutes, des bidons de 20l remplis au fur et à mesure et l'affaire est dans l'sac!!!!(Euh...dans les bidons...).
Mais cette année qui s'achève n'a pas été des plus rose pour nous et beaucoup d'autres.....
Commençons par David, le meilleur ami de Justin, victime d'un accident. Je vous passe tous les détails des difficultés que l'on rencontre lorsqu'une personne se retrouve paralysée, presque mourante, sur une île enclavée telle que Niomoune. Il aura fallu toute l'intelligence et le dévouement de Justin ainsi qu'une chaîne humaine (oh! pas énorme: quelques maillons seulement!... ceux qui y ont participé le savent bien...) pour sauver David d'une paralysie à vie. Après avoir passé 24h/24 aux côtés de son ami, Justin réussi à l'acheminer (telle est bien l'expression!!!) jusqu'à un hôpital de Dakar où une équipe chirurgicale a pris notre pauvre Date en mains. 45 jours!!!!!! Il leur a fallu 45 jours pour atteindre l'hôpital, du jour de l'accident au 1er jour d'hospitalisation!!!!!L'enfer s'est joué entre les incompétences des uns et des autres, de l'hôpital régional de Ziguinchor (qui n'a rien fait d'autre que de facturer les jours d'occupation d'un lit....), à l'administration qui perd le dossier de demande de carte d'identité de David, document indispensable pour un voyage sur l'Aliné Sittoe Diatta, après que la même administration ait obligé notre ami à se déplacer jusque dans leurs locaux pour signer et se faire tirer le portrait, ne voulant pas croire Justin lorsqu'il leur explique que David souffre atrocement et ne peut pas bouger! (Ils se sont aperçus de leur bêtise en apercevant Date et là! Panique dans les bureaux!!!!) Bref! Le médecin du bateau ayant eu la gentillesse de rendre visite à David dans la maison d'une de ses tantes, a tout mis en place pour un transfert des plus confortable et pour David et pour Justin.
Arrivés à l'hôpital à Dakar, l'opération a pu se faire: deux plaques maintiennent les deux cervicales fracturées-déplacées.
- On a fait ce que l'on a pu, me dira le chirurgien à mon arrivée. Maintenant, la rééducation définira le taux de réussite de notre intervention. Cela va être très long car il doit réapprendre à marcher. Quand à retrouver toute la motricité de son corps, l'avenir nous le dira...
Ni pessimisme ni optimisme dans le ton de sa voix. - David est un grand lutteur, lui dis-je en lui serrant la main.
Voilà donc quelques mois (depuis avril) que David se fait chouchouter par sa maman et ses soeurs à Dakar!!!!Le veinard!!! rendez-vous dans 6 mois avec le chir....A suivre!
Après être restés deux mois avec lui, Justin et moi regagnons notre Jad adorée!!!! De gros travaux nous y attendent mais nous avons la pêche!!!! Nouveau toit donc, planches remplaçant la terre sur la terrasse, chambres et atelier terminés à l'étage, peintures décoratives (ou devrai-je dire "fresques!") exécutées par Lamine (LG), Justin et moi-même, petite clôture, petites plantations genre graines de tomates (et ca pousse!!! Merci l'hivernage!)Bref! Que du bonheur même si rien n'est facile quand à l'exécution de tous ces travaux!!!
Mais ce grand bonheur s'entrecoupe (trop souvent à mon goût!) de grands malheurs! Tout d'abord, l'oncle de Justin (ou devrai-je dire "le papa") tombe gravement malade. ce grand féticheur du quartier de Somme, se meurt petit à petit sans que l'on ne puisse rien faire. Il décédera peu de mois après un instant mémorisé par mon appareil photo.
"Lieutenant (c'est son prénom inscrit sur sa CI!) que l'on surnommait "Etnant" m'offre un de ses derniers regards affectueux". Que la terre te soit légère, mon ami....
Et pendant que je prend ce cliché, Abudian, notre illustre piroguier du temps de la "Pa Lucien" (coucou YL!), se marie!!! Et oui!!!
Et comme à Niomoune, tout s'enchaîne très vite, un autre décès survient. Une des filles d'Etnant nous quitte après cinq longues années de souffrances. La maison familiale de Justin à Somme (du côté de sa maman), est à nouveau endeuillée.
A Ouback, la vie va tranquille: certains finissent leur maison avant l'arrivée des pluies et d'autres...se marient! Et oui! Le jeune Patrice s'est (enfin) décidé à prendre pour femme sa copine de longue date qui est aussi la mère de son enfant!
Bon je ne vais pas faire la liste des mariages, des dots ou des décès ( qui sont trop nombreux ...les décès bien sur!).
Les pluies sont (enfin) arrivées avec presque deux mois de retard par rapport aux autres années! Les Diolas, loin de se décourager, scrutaient les cieux et priaient leur dieu Atemit chaque jour pour que l'or tombe du ciel! Les femmes ne se lassaient pas de faire des sacrifices dans leur bois sacré pour que l'hivernage se déclenche. A grandes goulées (hips!) de "cadiou" (jus des pommes de cajou qui, en se récoltant par les femmes dans la brousse, mis en bidon pendant plusieurs jours, voire même plusieurs mois, se transforme en boisson alcoolisée presque aussi prisée que le "bounouc"), elles ont su décider les dieux de la pluie à (enfin) intervenir sur leur terre asséchée.
Comme par magie (et il y en a à Niomoune...), l'île, comme sortie de sa torpeur, reprend sa vie trépidante et joyeuse! Chaque homme traverse les rizières, le kadiandou sur l'épaule (outil traditionnel) tous les matins en chantant ou sifflotant et exécute un travail des plus rude: nettoyer les lopins de terre, creuser les sillons qui vont recevoir la semence précieusement gardée dans les greniers. Rien ne les arrête: ni les pluies diluviennes qui inondent les rizières et transpercent les corps amaigris de certains, ni la fatigue ressentie par ce dur labeur. Puis c'est au tour des femmes: chaque matin, des paniers sur la tête, remplis de jeunes pousses de riz qu'elles ont soigneusement déterré auparavant, elles traversent à leur tour les rizières (parfois pendant des kilomètres) afin de procéder au repiquage, appelé le "bouhin".(Tiens c'est comme chez nous pour les radis!). Chaque jour, certaines s'arrêtent chez Jad boire un "p'tit café" à l'aller ou grignoter un "p'tit quelque chose" au retour! Les jeunes, venus en vacances chez leur parents, se font une joie de participer à tous ces travaux qui prennent un air de fête! Les petits ne sont pas en reste: ils ont pour mission d'accompagner les vaches tous les jours en dehors du village, direction la brousse de "tank tank". Certains attachent leur bétail près de Jad, aux abords des rizières, et s'entrainent à "dompter"leur veaux, ce qui nous "veaux" de beaux clichés!!!
Tout pourrait se dérouler sans nuages (blurp). Mais la vie africaine, c'est autant de bonheur que de malheur!
Le quartier de Somme, plus précisément la concession de la famille de Justin, est décidément "l'élue" de cette année.
Une nuit, un incendie se déclare dans la maison dans laquelle loge le boutiquier Peul, Abdouraman. Après avoir pris dans sa chambre, le feu s'engouffre dans la chambre du jeune Omar ainsi que dans la salle principale. Tous deux sont gravement brulés et sont transportés en pirogue ambulance jusqu'à Elinkine où une ambulance les emmenent à l'hôpital régional de Ziguinchor. Après cinq jours d'atroces souffrances, Omar décèdera pendant que son ami, moins atteint que lui, est, pour l'instant, dans un fauteuil roulant.
Les obsèques du jeune Omar, dont le corps a été rappatrié à Niomoune et enterré aussitôt débarqué, ont été, je crois, les plus tristes que j'ai vécu depuis mon arrivée sur l'île. Des gens venus de partout sont venus présenter les condoléances à une maman et une grand-mère effondrées de chagrin.
Le quartier de Somme, noyé dans la tristesse, suffoquant sous le choc, range le bombolong de la jeunesse, (instrument traditionnel qui accompagne les luttes) en signe de deuil.
Ca, c'était la veille de mon départ pour la France, via Ziguinchor, via Dakar. C'est le coeur lourd que je débarque à Bordeaux mais mon coeur est encore plus lourd de tristesse depuis presque deux semaines.
Tout Niomoune est sous le choc!Ernest "Soldat" nous a lui aussi quitté. Ernest, le cousin-frère jumeau de Justin, responsable de la maison familiale située à Somme à côté de chez Etnant, se plaignait depuis quelques mois de violentes douleurs cérébrales et musculaires. J'ai eu beau insister pour lui payer le voyage jusqu'à Ziguinchor ainsi que les frais d'examens que je voulais qu'il subisse, rien n'y a fait.
- Ca va aller Anouck, m'a t-il dit. Je vais aller voir un guérisseur-féticheur et je reviens.
- Promets-moi que si ca ne va pas, tu vas à l'hôpital. Il me l'avait promis, un sourire généreux aux lèvres.
C'est la dernière image que j'ai de mon ami, celui qui partageait tout avec Justin et moi, les bons et les mauvais moments, le seul toujours présent lorsque nous avions besoin d'un coup de main. Nous avions d'ailleurs donné son prénom à l' une des chambres d'hôtes de L'Atelier Jad. Il ne nous reste que nos souvenirs et le nom de cette chambre, que nous ne changerons jamais.
...Pendant que Justin déshabille Jad de ses voiles d'hivernage, en attendant son visa pour une petite visite en France, j'exécute les examens rituels nécessaires à ma petite santé. Depuis que les médecins m'ont décelé une maladie des bronches, je suit un traitement à vie et doit me rendre à l'hôpital de Marseille 2 fois par an. Pas vraiment rigolo mais je vais bien.
Le mistral souffle dans un air d'hiver (j'ai les pieds gelés). Je me plaît à penser qu'il vous ammène toutes ces nouvelles de Jad et de Niomoune et vous trouve tous en bonne forme, comme ce lutteur de l'hivernage 2014!